La belle au bois dormant
Il était une fois...
un roi et une reine qui étaient bien
fâchés de n'avoir point d'enfants. A la fin, pourtant, la reine devint
mère d'une petite fille, et ils en furent tout heureux.
On fit un beau baptême ; on donna pour marraines à la petite
princesse toutes les fées qu'on put trouver dans le pays (il s'en trouva
sept) afin que chacune d'elles lui fit un don, comme c'était
la coutume des fées en ce temps là.
Le roi lui fit donner un couvert ; mais il n'y eut pas moyen de lui donner un étui d'or massif, comme aux autres, parce que l'on n'en avait fait que sept, pour les sept Fées. La vieille crut qu'on la méprisait et grommela quelques menaces entre ses dents. Une des jeunes Fées, qui se trouvait auprès d'elle, l'entendit, et, jugeant qu'elle pourrait donner quelque fâcheux don à la petite princesse, alla, dès qu'on fut sorti de table, se cacher derrière la tapisserie, afin de parler la dernière, et de pouvoir réparer autant qu'il lui serait possible le mal que la vieille aurait fait.
Cependant les fées...
commencèrent
à faire leurs dons à la Princesse. La plus jeune donna pour don qu'elle
serait la plus belle personne du monde, celle
d'après qu'elle aurait de l'esprit comme un Ange, la troisième
qu'elle aurait une grâce admirable à tout ce qu'elle ferait, la
quatrième qu'elle danserait parfaitement bien, la cinquième qu'elle
chanterait comme un Rossignol, et la sixième qu'elle jouerait de
toutes sortes d'instruments.
Le tour de la vieille Fée étant venu, elle dit, en branlant la tête encore plus de dépit que de vieillesse, que la Princesse se
percerait la main d'un fuseau, et qu'elle en mourrait.
Ce terrible don fit frémir toute la compagnie, et il n'y eut personne qui ne pleurât. Dans ce moment la jeune Fée sortit de
derrière la tapisserie, et dit tout haut ces paroles :
Rassurez-vous, Roi et Reine, votre
fille n'en mourra pas; il est vrai que je n'ai pas assez de puissance
pour défaire entièrement ce que mon ancienne a fait. La
Princesse se percera la main d'un fuseau ; mais au lieu d'en mourir
elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au
bout desquels le fils d'un Roi viendra la
réveiller.Le Roi, pour tâcher d'éviter le malheur annoncé par la vieille, fit publier aussitôt un édit, par lequel il défendait à toutes personnes de filer au fuseau, ni d'avoir des fuseaux chez soi sur peine de la vie. Au bout de quinze ou seize ans, le Roi et la Reine étant allés à une de leurs Maisons de plaisance, il arriva que la jeune Princesse courant un jour dans le Château, et montant de chambre en chambre, alla jusqu'au haut d'un donjon dans un petit galetas, où une bonne Vieille était seule à filer sa quenouille.
Cette bonne femme...
n'avait point ouï parler des défenses que le Roi avait faites de filer au fuseau.
- Que faites-vous là, ma bonne femme ? dit la Princesse.
- Je file, ma belle enfant, lui répondit la vieille qui ne la connaissait pas.
- Ah ! que cela est joli, reprit la Princesse, comment faites-vous ? donnez-moi que je voie si j'en ferais bien autant.
La bonne Vieille, bien embarrassée, crie au secours: on vient de tous côtés, on jette de l'eau au visage de la Princesse, on la délace, on lui frappe dans les mains, on lui frotte les tempes avec du vinaigre, mais rien ne la faisait revenir.
Alors, le Roi, qui était monté au bruit, se souvint de la prédiction des Fées, et jugeant bien qu'il fallait que cela arrivât, puisque les Fées l'avaient dit, fit mettre la Princesse dans le plus bel appartement du Palais, sur un lit en broderie d'or et d'argent. On eût dit d'un Ange, tant elle était belle ; car son évanouissement n'avait pas ôté les couleurs vives de son teint: ses joues étaient incarnates, et ses lèvres comme du corail ; elle avait seulement les yeux fermés, mais on l'entendait respirer doucement, ce qui faisait voir qu'elle n'était pas morte.
Le Roi ordonna qu'on la laissât dormir en repos, jusqu'à ce que son heure de se réveiller fût venue.
La bonne Fée
qui lui avait sauvé la vie, en la condamnant à dormir cent ans, était
dans le Royaume de Mataquin, à douze mille lieues de là,
lorsque l'accident arriva à la Princesse ; mais elle en fut avertie en
un instant par un petit Nain, qui avait des bottes de sept lieues
(c'était des bottes avec lesquelles on faisait sept lieues
d'une seule enjambée).La Fée partit aussitôt, et ...
on la vit au bout
d'une heure arriver dans un chariot tout de feu, traîné par des
dragons. Le Roi lui alla présenter la main à la descente du
chariot. Elle approuva tout ce qu'il avait fait ; mais comme elle
était grandement prévoyante, elle pensa que quand la Princesse viendrait
à se réveiller elle serait bien embarrassée toute seule
dans ce vieux Château : voici ce qu'elle fit.
Elle toucha de sa
baguette tout ce qui était dans ce Château (hors le Roi et la Reine),
Gouvernantes, Filles d'Honneur, Femmes de Chambre,
Gentilshommes, Officiers, Maîtres d'Hôtel, Cuisiniers, Marmitons,
Galopins, Gardes, Suisses, Pages, Valets de pied ; elle toucha aussi
tous les chevaux qui étaient dans les Écuries, avec les
Palefreniers, les gros mâtins de basse-cour et la petite Pouffe,
petite chienne de la Princesse, qui était auprès d'elle sur son lit.
Ces défenses
n'étaient pas nécessaires, car il crût dans un quart d'heure tout autour
du parc une si grande quantité de grands arbres et de
petits, de ronces et d'épines entrelacées les unes dans les autres,
que bête ni homme n'y aurait pu passer: en sorte qu'on ne voyait plus
que le haut des Tours du Château, encore n'était-ce que
de bien loin. On ne douta point que la Fée n'eût encore fait là un
tour de son métier afin que la Princesse, pendant qu'elle dormirait,
n'eût rien à craindre des Curieux.
Au bout de 100 ans...
Au bout de cent ans,
le Fils du Roi qui régnait alors, et qui était d'une autre famille que
la Princesse endormie, étant allé à la chasse de ce
côté-là, demanda ce que c'était que ces Tours qu'il voyait au-dessus
d'un grand bois fort épais ; chacun lui répondit selon qu'il en avait
ouï parler. Les uns disaient que c'était un vieux Château
où il revenait des Esprits ; les autres que tous les Sorciers de la
contrée y faisaient leur sabbat. La plus commune opinion était qu'un
Ogre y demeurait, et que là il emportait tous les enfants
qu'il pouvait attraper, pour les pouvoir manger à son aise, et sans
qu'on le pût suivre, ayant seul le pouvoir de se faire un passage au
travers du bois.
Le Prince ne savait qu'en croire, lorsqu'un vieux Paysan prit la parole, et lui dit : Mon Prince, il y a plus de cinquante ans que j'ai ouï dire à mon père qu'il y avait dans ce Château une Princesse, la plus belle du monde; qu'elle y devait dormir cent ans, et qu'elle serait réveillée par le fils d'un Roi, à qui elle était réservée.
Le Prince ne savait qu'en croire, lorsqu'un vieux Paysan prit la parole, et lui dit : Mon Prince, il y a plus de cinquante ans que j'ai ouï dire à mon père qu'il y avait dans ce Château une Princesse, la plus belle du monde; qu'elle y devait dormir cent ans, et qu'elle serait réveillée par le fils d'un Roi, à qui elle était réservée.
Le jeune prince...
Le jeune Prince, à ce discours, se sentit tout de feu ; il crut sans
balancer qu'il mettrait fin à une si belle aventure; et poussé par
l'amour et par la gloire, il résolut de voir sur-le-champ ce
qui en était. À peine s'avança-t-il vers le bois, que tous ces grands
arbres, ces ronces et ces épines s'écartèrent d'elles-mêmes pour le
laisser passer: il marche vers le Château qu'il voyait au
bout d'une grande avenue où il entra, et ce qui le surprit un peu, il
vit que personne de ses gens ne l'avait pu suivre, parce que les arbres
s'étaient rapprochés dès qu'il avait été passé. Il ne
laissa pas de continuer son chemin : un Prince jeune et amoureux est
toujours vaillant.
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